A l’heure où nous écrivons ces lignes, la pandémie de COVID-19 sévit et de nombreux organisateurs de spectacles nous demandent si nous pouvons jouer dans des écoles en remplacement des théâtres qui demeurent fermés au public (de l’avantage de faire du spectacle jeune public !). C’est par hasard si les deux événements sont concomitants. Toutefois, cette problématique prend pour nous en ce moment toute sa signification. D’autant que les consignes de distanciation physique et de non brassage des groupes rajoutent une contrainte à laquelle nous n’étions pas nécessairement préparés. Mais si l’événement devait se reproduire à l’avenir, nous aurons au moins un peu d’expérience en la matière.

Revenons au cœur du sujet qui nous préoccupe. Vous voulez ou devez organiser la tenue d’un spectacle dans un lieu qui n’est pas dédié à cet effet et vous ne savez pas par où commencer. La réponse est : tout simplement par une liste…

La belle affaire, direz-vous, mais quelle liste ?

Proposons :
– Où ?
– Quoi ?
– Qui ?
– Comment ?
– Combien ?
– Pourquoi ?

Il n’est pas si simple de répondre à cette question. Voyons donc en premier lieu le cas où vous ne disposez que d’un lieu pouvant accueillir une représentation. Dans ce cas de figure, vous n’avez pas de choix à faire et vous n’aurez plus qu’à vous demander ce que vous pouvez y faire rentrer. Le choix sera alors directement induit par les contraintes liées au local dont vous disposez. Cela pourra vous plonger dans des abimes de perplexité tant le choix artistique sera vaste. Mais enfin, vous aurez au moins une hiérarchisation du processus décisionnel qui apparaîtra de façon évidente. Il ne vous restera alors qu’à connaître les contraintes liées à ce lieu pour y faire entrer un spectacle dans des conditions acceptables pour votre prestataire et votre public.

Si vous avez plusieurs lieux à votre disposition, nous voilà revenu au point de départ : dans quel endroit avez-vous envie ou mission de proposer un spectacle à la population ? En réalité, vous aurez alors à vous demander si vous voulez privilégier le lieu ou la forme artistique. A cette question, vous êtes seul à pouvoir répondre. Ou plus précisément, vous aurez à vous conformer à un cahier des charges. Parfois vos donneurs d’ordre seront très précis et auront pris la décision à votre place en quelque sorte. En particulier si vous devez rendre des comptes à une collectivité locale qui aura des objectifs artistiques, politiques ou sociaux particuliers et qui par conséquent sera précise dans sa demande. Mais il faut bien admettre que c’est rarement le cas et que vous serez le plus souvent seuls pour arbitrer, même si évidemment, vous aurez à rendre des comptes ensuite. Parfois même, vous serez en butte à un cahier des charges très  vague sur le papier, mais qui se précisera au cours du processus de décision et qui viendra contrarier vos projets initiaux. Tout cela dépend évidemment de votre relation avec le donneur d’ordre, qu’il soit privé ou public.

Ici, un élément doit être éclairé. Il s’agit de l’objectif que vous avez en organisant la venue d’un spectacle dans un lieu non dédié. S’il s’agit de toucher une population la plus large possible, vous serez tenté de privilégier le plein air… avec les risques afférents, en particulier les conditions météorologiques. Et bien entendu, la réponse ne sera pas aussi simple à apporter selon que vous vous situez à Dunkerque ou à Nice…

Si l’objectif consiste à toucher un pan précis de la population, vous privilégierez tel ou tel lieu. Si par exemple vous souhaitez vous adresser aux jeunes dans un environnement rural, vous serez tentés de les réunir dans un foyer rural ou un lieu qui leur est familier. Si au contraire vous voulez réunir des personnes âgées en milieu urbain, vous vous tournerez vers des maisons de quartier ou des friches industrielles qui rappelleront les jours anciens… Enfin, si vous avez un objectif intergénérationnel, vous serez peut-être tenté de faire venir des jeunes dans des lieux habituellement fréquentés par des anciens ou de déplacer des personnes âgées vers un lieu emblématique de réunion des jeunes. En tout état de cause, le projet dans lequel s’inscrit votre démarche influera sur le choix du lieu.

Ici encore, l’objectif fixé pour l’organisation de l’événement sera le pivot de votre prise de décision. Car vous pouvez articuler votre choix en fonction du lieu ou en fonction du spectacle. Une fois de plus, nous ne pouvons pas ici décider à votre place et vous serez bien avisé de questionner avec précision le donneur d’ordre sur ce qu’il souhaite faire, sous peine de vous voir reprocher de ne pas avoir fait ce qu’il fallait.

En effet, ce n’est pas la même chose d’organiser un spectacle pour faire vivre un lieu que chercher un lieu qui puisse accueillir un spectacle donné. Voici un exemple pour éclairer un peu ce propos. Il nous est arrivé il y a quelques années de jouer pour le musée de l’Archerie, dans l’Oise, à l’occasion de sa réouverture annuelle. Notre client avait choisi un de nos spectacles en fonction de deux contraintes qu’il s’était fixées : une salle assez exigüe et une volonté d’attirer un public familial pour faire connaître le musée à des familles avec enfants. Nos clients eussent-ils eu pour objectif de s’adresser à un public d’experts, ils n’auraient probablement pas privilégié notre proposition mais plutôt un spectacle de plus grande envergure se tenant dans un lieu plus spacieux et centré sur l’archerie ou une conférence pointue se tenant dans un auditorium.

Comme nous l’avons vu plus haut, ils sont centraux et quoique nous ayons indiqué la question pourquoi en dernière position, elle doit en réalité se poser en tout premier lieu tant il est vrai qu’elle va déterminer toute la suite de votre processus décisionnel.

En effet, les objectifs que vous aurez définis pour une telle organisation vont guider vos choix, tant de lieu que de style de spectacle. Il est donc primordial que vous soyez au clair à ce sujet. Pour ce faire, n’hésitez pas à questionner vos donneurs d’ordre ou à vous questionner vous-même. Faire venir un spectacle est une opération onéreuse, qui risque de l’être d’autant plus que vous l’organisez dans un lieu qu’il faudra d’une façon ou d’une autre équiper. Si vous ne vous êtes pas posé les bonnes questions quant à vos objectifs, vous risquez fort d’avoir dépensé cet argent en pure perte et donc de ne pas pouvoir réitérer l’opération à l’avenir. En la matière, comme nous l’avions déjà évoqué dans notre série d’articles sur le choix d’un spectacle jeune public, il n’existe pas de question sotte et il faut parfois accepter d’être iconoclaste. Posez donc et posez-vous toutes les questions qui vous viennent et soyez précis. Le temps que vous penserez avoir perdu sera en réalité gagné pour la suite de votre opération. Et si on pourra vous reprocher d’avoir trop questionné et « cassé les pieds » de vos interlocuteurs, ce reproche sera toujours moins grave pour vous que celui d’avoir travaillé seul et d’avoir par le fait raté votre cible faute d’objectif clairement défini.

Comme nous l’avons déjà un peu évoqué plus haut, ce sujet est intimement lié au lieu que vous aurez retenu, que vous ayez décidé qu’il soit déterminé ou déterminant. Encore une fois, les objectifs que vous aurez seront centraux pour choisir le type de spectacle que vous allez proposer à vos spectateurs. Selon que vous aurez une problématique de rassemblement le plus large possible ou que vous voudrez approfondir une thématique précise à destination d’un public choisi, vous n’irez pas chercher le même spectacle. Cela semble une évidence, mais pour autant, faire l’impasse sur cette réflexion risque bien de vous poser problème.

Le marché du spectacle vivant regorge de propositions très variées, tant en matière de genre qu’en matière d’ampleur et de budget. Une recherche sur votre moteur préféré vous donnera une idée de l’étendue des formes artistiques à votre disposition. Aussi, vous devrez impérativement vous poser des questions en amont sur ce que vous souhaitez ou pouvez faire afin que vos recherches soient fructueuses et pour éviter de perdre du temps. Vous pouvez à ce sujet relire notre article sur le maquis d’Internet, dans la série sur le choix d’un spectacle jeune public.

Outre le genre, vous devrez arbitrer également le registre qui vous semblera susceptible de rencontrer le public visé de façon efficace. Enfin, le style de spectacle que vous voudrez faire venir devra faire également l’objet d’une étude un peu approfondie.

Encore une fois, tout ceci pourrait vous décourager tant le champ des possibles peur vous sembler vaste. Toutefois, ne vous paniquez pas, beaucoup de ces étapes, vous les franchissez par votre simple bon sens. Vous vous apercevrez vite, en vous lançant dans un tel projet, que vous abordez tout ceci un peu comme M Jourdain fait de la prose sans le savoir. Notre propos ici est donc juste de vous aider à lister tous les éléments pour y voir clair et être plus efficace.

Ici, vous allez devoir affronter des éléments d’ordre technique et de sécurité. N’hésitez pas, si vous utilisez un bâtiment municipal ou géré par une collectivité locale, à vous adresser aux services techniques concernés qui sauront avec compétence vous aider dans vos démarches. En particulier, vous devrez veiller à ce que le lieu soit sécurisé, et donc vérifier avant toute chose qu’il peut accueillir du public. Ça va sans dire, mais ça va mieux en le disant, vous ne devez en aucune façon prendre le risque d’organiser un spectacle dans un lieu qui n’a pas été validé pour recevoir du public. En tout état de cause, validez le nombre de personnes que vous pouvez accueillir dans le lieu. Si c’est un lieu déjà habilité pour la chose, un procès verbal de sécurité doit exister qui vous donnera la jauge maximale. Si c’est un lieu qui n’a pas encore fait l’objet d’une habilitation, vous devrez valider les éléments liés à la sécurité, par exemple le nombre et la largeur des évacuations vers l’extérieur, la présence d’extincteurs, de blocs de secours, … Et au besoin, il vous faudra peut-être apporter des modifications au lieu afin de le rendre compatible avec l’accueil de public. Si vous souhaitez approfondir ce sujet, nous vous proposons de vous rendre sur www.securite-spectacle.org, un site très bien fait sous la responsabilité de l’Agence Culturelle Grand Est et qui fourmille d’informations précieuses quant à la sécurité des établissements recevant du public.

Accueillir un spectacle, ce n’est pas seulement veiller à la sécurité du public, c’est aussi préparer techniquement le lieu et au besoin l’équiper. Pour ce faire, vous aurez probablement à faire appel à un prestataire extérieur (sauf si votre collectivité locale dispose de personnel et de matériel). Les agences de prestation technique sont nombreuses, n’hésitez pas à questionner autour de vous pour avoir des informations sur celles qui sont sérieuses et celles qui ne le sont pas. Parfois, comme c’est notre cas, les compagnies de spectacles sont en mesure de proposer un équipement minimum permettant de tenir la représentation dans de bonnes conditions. Vous n’aurez certes pas le même rendu que dans un théâtre équipé ou en vous adjoignant les services d’un prestataire technique, mais vous aurez malgré tout une prestation artistique de qualité accompagnée d’une prestation technique correcte.

Enfin, accueillir un spectacle, c’est aussi accueillir des artistes et des techniciens, c’est-à-dire des gens ! Il faut donc prévoir de les nourrir et le cas échéant de les loger. Nous ne développerons pas ici ce point abordé par ailleurs, mais enfin, pensez-y. C’est toujours un peu désagréable de jouer à un endroit où nos clients ont oublié que nous étions, comme eux, des humains…

Comme vous le voyez, organiser un spectacle dans un lieu qui n’est pas prévu à cet effet peut s’avérer difficile, voire franchement compliqué dans certains cas. Cependant, si vous agissez avec méthode et acceptez de prendre votre temps en début d’organisation, vous pourrez obtenir des résultats satisfaisants. On vous pressera sans doute de toutes parts pour obtenir des réponses à des questions non résolues et il vous faudra tenir bon pour faire accepter le temps d’une prise de décision pesée, mais qui vous mènera sans nul doute vers une réussite quand une action plus précipitée vous emmènerait directement à l’échec.

Et puis n’imaginez pas que vos questions soient stupides ou sans intérêt. Parfois les réponses que vous apporteront vos interlocuteurs seront simples et vous vous direz alors que vous auriez peut-être pu trouver sans avoir recours à un tiers. Pour autant, gardez à l’esprit qu’il n’y a pas de mauvaise question, il n’y a que de sottes réponses. Le plus souvent, sauf quand vraiment on n’y connaît rien, les questions que l’on se pose valent la peine qu’on y réponde et sont fondées.

Le tout, nous ne cessons de le marteler, c’est de toujours garder à l’esprit l’objectif que l’on s’est fixé dans l’organisation d’un tel événement. Bien souvent dans le suivi de processus longs, on finit par oublier le fondement des choses que l’on met en œuvre et les objectifs dérivent. Si bien que ce que l’on avait initialement prévu est complètement oublié. Ne restez pas pour autant braqué sur un objectif si vous constatez en cours de route qu’il pourrait avantageusement être remplacé par un autre qui trouverait mieux sa place.

Enfin, dans ce genre de travail au long cours, il faut prendre garde aux escalades d’engagements. Kézako ? C’est un processus vicieux qui peut nous faire dériver lentement vers des complications parce que nous n’arrivons pas à remettre en cause certains éléments que nous avions précédemment acté. Le cas typique, c’est quand on rencontre un problème et que la solution trouvée pour le résoudre génère un autre problème qui demande une autre solution qui entraîne un troisième problème, … Si bien qu’à la fin, on fait des contorsions pour résoudre un enchaînement de problèmes sans penser au premier. Alors qu’il suffirait peut-être de chercher une autre solution au premier problème. C’est sans doute au final le point le plus important de ce sujet. A tout moment, si la solution trouvée pour résoudre un problème génère une cascade de problèmes et de solutions, vous devez vous mettre en capacité de remettre en cause la première solution pour essayer d’en trouver une autre dont les conséquences seront moins problématiques. Il n’y a rien de plus ennuyeux que de s’enfermer dans cette cascade d’engagements parce qu’elle va vous amener à prendre des décisions qui risqueront d’être absurde. Ici encore, pensez à consulter des personnes diverses et à poser des questions fussent-elles naïves. Cela vous permettra de prendre un peu de hauteur et de recul, deux choses qui à coup sûr risquent de vous manquer car vous aurez le nez dans le guidon pour essayer de faire avancer votre projet.

Et pour finir, ne vous découragez pas. C’est bien souvent au moment où on pense qu’on n’y arrivera pas que les choses se résolvent et trouvent une fin heureuse.

Lorsque vous verrez le public sortir heureux du spectacle qu’il aura vu, vous pourrez enfin souffler et vous réjouir d’avoir mené à bien votre projet de spectacle… Et vous repartirez probablement pour l’organisation d’un autre événement, parce que vous y aurez pris goût ! Il ne vous restera plus qu’à valider votre nouvelle expertise et vous garder de vous-même pour le projet suivant, pour qu’il soit aussi réussi que le premier.